La promotion de l’entrepreneuriat est tous azimuts en République Démocratique du Congo. Elle est même le premier cheval de bataille du Président Tshisekedi qui s’est engagé, lors de sa prestation de serment au Stade des Martyrs de la Pentecôte à Kinshasa le 20 janvier dernier, à créer plus d'emploi par le biais de la promotion de l’entrepreneuriat.
Mais les difficultés qui jonchent le parcours de l’entrepreneur restent une évidence. C’est ainsi que nous attirons l’attention sur une deuxième option qui n’est certes pas plus facile mais reste envisageable et parfois bien pratique.
Nous sommes allés à la rencontre de Divine Dialundama, propriétaire de Deo Gracias, un institut de beauté, et qui nous partage son expérience d’entrepreneure partielle.
Vous aviez un salon de coiffure. Vous l’aviez ouvert juste après vos études ou c’est en travaillant que vous avez décidé d’ouvrir votre propre business ?
Après avoir terminé ma formation en esthétique et coiffure, je projetais déjà d’ouvrir mon propre institut de beauté ; mais faute de moyens, j’ai commencé par être salariée toujours dans le même domaine.
Et c’est par la suite que je suis devenue entrepreneure.
Racontez-nous votre évolution.
C’est en 2004 que je me suis lancée dans l’entrepreneuriat. Grâce aux bénéfices générés par mon entreprise, j’ai décidé, trois ans plus tard, de poursuivre mes études supérieures à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa en Architecture d’intérieur. A ce moment-là, j’employais quatre coiffeuses et un coiffeur.
Mon absence partielle dû à mes études est la première expérience qui a fait tanguer mon salon de coiffure. Cela n’était pas forcément à cause de mon équipe ; car, il y avait, par exemple, certaines clientes qui exigeaient que je sois la seule personne à m’occuper d’elles. Et donc si je n’étais pas disponible, elles repartaient tout simplement. Le coup fut assez dur puisque ma clientèle a fini par baissée et mon chiffre d’affaires également.
Un chef doit rester un chef ! Et à l’employé de garder ses distances !
Une fois mon graduat en poche, je n’ai pas commencé à travailler en Architecture d’intérieur comme je l’avais fait quelques années plus tôt pour rester dans le bain de la pratique. J’ai préféré limiter les dégâts que connaissait ma première affaire, le salon, en « relançant la machine » et ensuite en envisageant de combiner avec mes nouvelles aptitudes acquises. Nous sommes en 2010.
Je me suis mariée un peu plus tard et c’est pendant mon congé maternité que j’ai reçu ma deuxième gifle entrepreneuriale. En effet, à ce moment-là, je n’étais carrément plus présente physiquement dans mes locaux. Il n’y avait pratiquement plus d’entrées au point où je m’obligeais à payer le loyer de ma poche comme une débutante.
Ma relation-client a été la sonnette d’alarme. Oui, ce sont mes clients qui m’ont prévenu de ce qui se tramait au sein de mon entreprise. Tout le monde était dans le coup. Ils se redistribuaient la majeure partie des revenus issus des soins et les produits vendus étaient remplacés. Si bien que si j’envoyais un contrôleur vérifier, le stock était intact.
Être entrepreneur à mi-temps, ne veut pas dire répartir son temps à 50/50. Il est plus sûr d’être présent à 80% minimum sur votre affaire.
Fermer était la seule option ?
Non, bien sûr que non. Mais j’ai commis une erreur que beaucoup d’entrepreneurs font dans le management de leurs équipes : la familiarité. Dans le business, c’est un inconvénient ; et cela vous porte préjudice tôt ou tard.
C’est en voulant conserver cet esprit de famille que j’ai préféré tout détruire laissant chacun d’entre nous partir dans la direction souhaitée. Et rassurez-vous, personne ne m’a suivi.
Aujourd’hui, j’offre mes services d’esthétique et coiffure à la demande. J’ai une clientèle fidèle chez qui je me rends ou qui vienne vers moi et qui me recommande auprès de leurs proches. Je n’ai plus de lieu d’exploitation ; et avec la Covid-19 qui est passée il y a quelques temps, vous vous posez la question deux ou trois fois si ça en vaut vraiment la peine.
Et puis, d’un autre côté, j’apporte également mon expertise dans la décoration et l’architecture d’intérieur.
Nous avons ensuite discuté avec Grâce Mali, Experte en communication, promotrice de plusieurs entreprises dans le secteur des services et de la beauté.
Pensez-vous que l’entrepreneuriat à mi-temps est une opportunité non négligeable pour les futurs ou nouveaux entrepreneurs ?
Bien sûr que oui ! Cette situation permet à l’entrepreneur, premièrement, de créer de la richesse, deuxièmement de créer de l’emploi et troisièmement, de capter un revenu supplémentaire qui l’aiderait dans d’autres projets en tant que personne. Dans le contexte congolais surtout, nul ne peut se prévaloir que d'une seule source de revenus.
L’entrepreneur est pourtant un couteau suisse pour son entreprise ; dans ce cas, comment répondez-vous à la question de la délégation des pouvoirs ; le risque n’est-il pas trop grand ?
Certes, l’entrepreneur à mi-temps ne dispose pas de tout le temps nécessaire pour se consacrer à son business ; car gérer une entreprise demande d’y être dédié complètement, en tout cas plus que les quelques heures qu’il peut y consacrer quand il le peut en dehors de son emploi principal.
Mais ce qui fait que l’on devient réellement entrepreneur, c’est le fait de garder à l’esprit qu’il y a toujours un risque d’échouer et de ne pas se laisser abattre pour autant. Cela fait partie du processus.
Pour ce qui est de la délégation des pouvoirs, vu la disponibilité partielle du responsable ou du promoteur de l’entreprise, il faut savoir qu’autant c’est une nécessité de débloquer certaines situations en urgence ou d’obtenir la validation de certaines opérations, autant il faut être capable de s’entourer de collaborateurs forts et fiables mais aussi d’engager des actions correctrices immédiates voire de se séparer des collaborateurs qui vont à l'encontre de nos efforts ou parfois font preuve d’abus de confiance.
Enfin, les entrepreneurs ont souvent tendance à croire que leurs collaborateurs sont une projection d’eux-mêmes ; car, ils ont tendance à rechercher les mêmes qualités, la même perspicacité auprès des personnes qui les accompagnent. Intérioriser le fait qu’ils ne peuvent pas tous comprendre la pertinence de votre business comme vous vous le portez, est un facteur qui vous prépare psychologiquement et vous permet d’anticiper les actions néfastes et surtout la déception que vous pourrez ressentir face à leurs agissements.
Pourquoi avoir choisi ce modèle ?
J'envisage une retraite anticipée à cinquante ans. Commencer à être entrepreneure maintenant, me permet de comprendre les bases et de commencer à bâtir quelque chose qui, au fur et à mesure, pourrait se développer. Ce ne sont peut-être pas les entreprises avec lesquelles j’assurerai cette retraite anticipée (il y aura sans doute mieux), mais déjà, j’aurai compris ce que représente le fait de se mettre à son propre compte et tous les facteurs qui s’y rattachent comme la gestion du personnel, des finances, du stock, de la clientèle, etc.
Enfin, ce modèle d’entrepreneure à mi-temps me permet d’utiliser une partie de mon revenu principal pour investir plus aisément dans mes entreprises.
Vous sécurisez, certes, certaines charges grâce à votre salaire, mais d’un autre côté, il vous faut rester une employée efficace. Et parfois proactive. Comment naviguez-vous « d’une rive à l’autre » ?
Il faut faire la part des choses. En ce qui me concerne, je joue sur les horaires : à partir du moment où j’arrive au bureau, jusqu’à ma pause, je consacre ce temps à mon employeur ; et j’utilise mon heure de pause pour établir un premier statut journalier de mon business. Ensuite, jusqu’à la fin de ma journée de travail, je reste concentrée sur mes tâches d'employée. Évidemment, les imprévus existent ; mais je sais rester focus.
Dès que je finis ma journée d’employée à plein temps, je revêts ma casquette d’entrepreneure. Au minimum, trois à quatre fois par semaine, je suis dans mes locaux. Ce qui me permet de marquer ma présence, de noter le fonctionnement, de rassurer le client et bien plus.
Nous pouvons conclure que le sacrifice n’est pas donc pas forcément moins important que celui qui s’en va en guerre à plein temps.
Être entrepreneure à temps plein vous offre une certaine liberté dans la gestion de vos horaires et de l’évolution de votre travail. La posture de l’entrepreneure à mi-temps est beaucoup plus complexe, car vous cumulez les charges qui sont liées à votre emploi principal.
En ce qui me concerne, je suis Responsable de département dans une organisation internationale. En plus de devoir rester "à la page" dans mon secteur d'activité, être entrepreneure m’incombe deux fois plus de charges, de responsabilités, d'obligations, de stress avec deux fois moins de temps.
Ce n'est donc pas fait pour tout le monde. Je pense à juste titre que le SACRIFICE est très grand, mais le jeu, comme on dit, en vaut la chandelle.
L'Entrevue
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